- AFRO-AMÉRICAINES (RELIGIONS)
- AFRO-AMÉRICAINES (RELIGIONS)Les Africains conduits en esclavage en Amérique ont amené avec eux leurs croyances et leurs rites. Certes, en beaucoup de pays, au contact de civilisations différentes et de sociétés répressives, ces croyances et ces rites, après un moment de résistance (par exemple, en Argentine jusque vers le milieu du XIXe siècle), ont fini par disparaître. Mais, là où les Noirs ont été particulièrement nombreux, ils ont pu maintenir jusqu’à l’époque actuelle leurs religions, souvent en les dissimulant derrière un masque catholique, dans les pays de confession romaine, ou protestant, dans les pays anglo-saxons.Les dieux et cultes africains survivent sous la forme de candomblés au Brésil, de santería à Cuba, de vodou (vaudou) à Haïti, plus ou moins amalgamés avec le catholicisme; ces religions afro-américaines sont, culturellement, originaires de l’ancienne Côte-de-l’Or (Nègres Bosh de Guyane française et du Suriname, Jamaïque), du Bénin (Vodou de Haïti, Casa das Minas du nord du Brésil), du Nigeria (Cuba, Trinité, nord-est et sud du Brésil), de l’Afrique bantoue (un peu partout, dans toutes les Amériques noires), ou du Calabar (Cuba). Religions bien vivantes, qui émigrent d’une Amérique à l’autre, se multiplient en sectes, se métamorphosent aussi parfois pour mieux s’adapter aux mutations des sociétés globales dans lesquelles elles fonctionnent. On peut même retrouver dans certaines pratiques des religions protestantes en Amérique anglo-saxonne, en Jamaïque et dans l’île de la Trinité, une réinterprétation de la religion africaine ancestrale qui fait alors appel aux anges, aux prophètes ou aux transes sous la mouvance du SaintEsprit.Les religions afro-américainesLes religions d’origine africaine se sont conservées le plus pures chez les nègres marrons, ou Bosh, qui ont fui le régime de l’esclavage pour constituer des républiques indépendantes à l’intérieur des forêts des Guyanes hollandaise et française. On retrouve chez eux, juxtaposées plus qu’intégrées, les religions des Fanti-Ashanti (Gh na) et des Fon (Bénin), le Grand Dieu qu’ils adorent s’appelant Masu Gadu (d’un terme fon) dans la tribu des Boni et Nyame (mot fanti-ashanti) dans celle des Saramaca. Au-dessous, il existe toute une série de divinités ou de génies, dont certains se retrouvent chez tous les Bosh, et d’autres sont particuliers à tel ou tel clan. Ces divinités inférieures, nommées winti ou gattu , sont également soit d’origine fanti-ashanti (Asage , la terre-mère; Opete , l’urubu; les Kromanti , les esprits des bois), soit d’origine dahoméenne (Loko , le fromager; Dagowé , le boa constrictor; Legba , le dieu des carrefours), ou même parfois, mais plus rarement, d’origine bantoue (Loango Winti ; Zambi ). Les divinités sont adorées dans des confréries dirigées par des lukuman ; le culte consiste en sacrifices, chants et danses qui se terminent par des crises de possession. La magie est entre les mains des obiaman , qui peuvent faire le bien comme le mal (confection de charmes). Les sorciers (wisiman ) transforment les âmes des morts en esclaves soumis à leur volonté et les font travailler pour répandre la maladie et la mort. Mais, chez les Bosh, comme en Afrique, la religion colore toute l’activité humaine: économique (rites agraires), politique (le chef a des pouvoirs religieux) et sociale (les clans sont astreints à des interdits alimentaires; la mort est considérée comme ayant toujours une cause surnaturelle, et le cadavre, porté sur la tête des hommes, désigne, en dirigeant ceux-ci à travers la foule, le sorcier qui a provoqué le décès, exactement comme chez les Fanti-Ashanti d’Afrique).Au Brésil, les religions musulmanes ont pratiquement disparu après les révoltes des nègres musulmans au cours du XIXe siècle, durement réprimées. On y rencontre des sectes bantoues d’origine congo ou angola; mais, tout en conservant un certain nombre de croyances originelles, elles sont aujourd’hui fondues avec les cultes yoruba dans le Nord-Est et se sont combinées étroitement, de manière syncrétique, avec le catholicisme et le spiritisme dans le centre du pays (macumba ). La religion des Fon s’est maintenue dans une confrérie de São Luis do Maranhão (A Casa das Minas) et a rayonné, à partir de cette ville, jusqu’en Amazonie, où le culte des Voduns s’est d’ailleurs mélangé avec le culte des esprits indiens (pagelance ). En fait, au Brésil, en particulier dans le Nord-Est (Bahia et Recife) et dans le Sud (Porto Alegre), c’est la religion des Yoruba qui domine. Les Afro-Brésiliens croient en un Dieu suprême, Olorun , mais ne lui rendent pas de culte; le culte va à des divinités inférieures, les Orisha , dont chacune préside à un département de l’Univers, soit cosmique (la foudre, la mer, l’eau douce), soit social (la guerre, l’amour). Les Orisha portent deux noms, un nom africain (Shangô , Obatala , Yansan , Yemanja ...) et un nom catholique (saint Jérôme, Jésus, Notre-Dame des Navigateurs...). Ils sont adorés – dans des lieux de culte appelés, suivant les régions, candomblés , xangô ou batuques – par des confréries, surtout féminines, dans lesquelles on entre par un rituel d’initiation, identique, en plus ramassé dans le temps, à celui qui est pratiqué au Bénin et au Nigeria. Au cours de danses extatiques, les dieux sont appelés, descendent sur leurs «chevaux» brésiliens et leur font rejouer gestuellement les grands mythes de la cosmogonie africaine. Ces confréries sont dirigées par toute une hiérarchie de prêtres, au sommet de laquelle se trouve un babalorisha , homme, ou une yalorisha , femme, qui maintiennent avec obstination le culte des ancêtres (egun ) et des divinités, d’une génération à une autre. Les devins, ou babalaô , continuent à avoir une place importante dans cette société, mais ils n’officient plus qu’à travers les coquillages.À Cuba, c’est la même religion yoruba qui domine. Peut-être cependant a-t-elle conservé plus qu’au Brésil la mémoire des mythes; surtout, les babalaô ont maintenu, à côté de la divination par des coquillages, la divination par des noix coupées en deux, qui est celle des babalaô africains. Mais, outre cette religion yoruba, appelée ici religion des Lucumi , il existe également à Cuba: d’une part, une religion congo, plus poussée qu’au Brésil, quoique tendant vers la magie noire, qui se diversifie en religion des Mayombé , subordonnée au système des Yoruba, et en religion des Ganga , qui est appelée à organiser les rites funéraires de ses membres et à évoquer les esprits des morts; d’autre part, une religion qui, apportée par les Efik et les Efor du Calabar, est une religion secrète dans laquelle on entre aussi par initiation et où l’on rejoue le mythe africain de la découverte de la voix mystérieuse (Ekué ), qui est la voix de Dieu. Cette religion compte de très nombreux dignitaires et a eu – a peut-être encore – un rôle politique (analogue à celui de la franc-maçonnerie en Occident); on pourrait y voir une religion du salut, car elle assure l’immortalité à ses adeptes, donc la rupture avec la loi de la réincarnation.À Haïti, par contre, c’est la religion des Fon qui domine. Mais, à la différence de ce qui se passe au Brésil et à Cuba, cette religion n’est pas celle d’une minorité conservant pieusement le culte ancestral au milieu d’une masse noire qui l’a abandonné; elle constitue le culte en quelque sorte officiel de toute la paysannerie haïtienne. Les premières descriptions qu’on a du vodou haïtien en donnent une image trompeuse, car elles en ont fait un culte de la couleuvre et ont même parfois parlé de sacrifices d’enfants. En réalité, le vodou haïtien est le culte des divinités fon (Legba , divinité des portes; Ayizam Velequeti , divinité des marchés; Damballah Oueddo , le serpent arc-en-ciel; Agoue , dieu de la mer...), auxquelles s’ajoutent quelques divinités yoruba (Ogun , Ossang ); et ce culte, dans lequel on entre par initiation, est aussi un culte de possession, chaque Vodun descendant, au cours des danses qui se célèbrent dans le houmfo , ou sanctuaire, dans la tête des fidèles. Ces cérémonies comportent actuellement trois parties: la première est consacrée aux Loa (les grands Voduns); la deuxième aux Zaka , ou «cousins» (les dieux de l’agriculture et de la fertilité des champs); la dernière aux Guede , ou esprits des morts (divinités d’une population des environs d’Abomey, au Bénin – les Guedevi –, qui a été conquise par les Dahoméens). Elles sont dirigées par des prêtres, les hougan , ou par des prêtresses, les mambo. À côté de cette religion fon, il existe aussi à Haïti une autre religion, entièrement créole, le vaudou Petro, dont les divinités restent certes celles des Fon; mais à leur nom originel s’ajoute un qualificatif pour en désigner l’extrême méchanceté (yeux rouges ou diable); comme ce culte Petro dans le Nord de l’île porte le nom de Lemba , qui est le nom d’une ethnie congolaise, on peut présumer que le rite Petro a consisté à réinterpréter la religion dahoméenne dominante en termes de magie bantoue.Dans les autres Antilles, on trouve des survivances yoruba à la Trinité et Grenade (culte dit de Shangô ), fanti-ashanti surtout chez les nègres marrons de la Jamaïque (le myalisme , le convince cult en anglais, bongo en africain, avec possession par les esprits des morts). On laissera de côté les Caraïbes noirs, originaires des Antilles anglo-saxonnes, mais déportés sur les côtes du Honduras, car leur religion a si profondément tissé les éléments africains des hommes avec les éléments indiens de leurs femmes qu’il est impossible de les dissocier.Le dynamisme des religions afro-américainesLes religions africaines sont non seulement toujours vivantes en Amérique, mais encore elles rayonnent. Les candomblés de Bahia ont des succursales à Rio et aujourd’hui à São Paulo; la pagelance nègre, venue du Maranhão, s’étend en Amazonie. Les exilés de Cuba et de Haïti ont apporté leurs cultes aux États-Unis, et des Noirs nord-américains, mais aussi parfois des Blancs y adhèrent; on compte deux cents lieux de culte afro-américains dans les «Harlem» de New York et de Washington; les tambours sacrés appellent les Orisha ou les Voduns en Californie.Cependant, au cours du temps, des métamorphoses se produisent. On a déjà signalé qu’au Brésil les Orisha sont identifiés à des saints catholiques; il en est de même à Cuba et pour le Shangô de l’île de la Trinité et pour les Voduns à Haïti. Ce syncrétisme «catholico-fétichiste», comme l’ont appelé les premiers observateurs du phénomène, est plus ou moins prononcé suivant la strate hiérarchique (davantage chez les fidèles que chez les prêtres) ou suivant le pays (davantage en Haïti qu’à Cuba, et davantage, semble-t-il, à Cuba qu’au Brésil). Mais, sous ce masque blanc, la religion noire reste relativement pure. D’autres changements sont plus profonds.Au Brésil, dans les très grandes villes, les religions yoruba, bantoue, catholique et le spiritisme ont fini par se fondre pour donner naissance d’abord à la macumba, où néanmoins l’élément africain domine (sacrifices animaux, possession par les dieux), et ensuite à une forme spéciale de spiritisme, le spiritisme de Umbanda , où les éléments jugés trop barbares pour pouvoir s’adapter à la société moderne sont éliminés et où les possessions par les dieux sont remplacées par les possessions par les esprits des morts d’anciens nègres (les Orisha et leurs correspondants catholiques ne sont plus alors que les généraux qui commandent, dans le monde éthéré, les phalanges des morts). À la Jamaïque, le myalisme a cédé la place à un culte extatique où l’on entre bien toujours en communication avec les esprits des morts, mais aussi avec les anges, et où la fonction de guérison des malades semble l’emporter sur la fonction proprement religieuse. Le myalisme, par ailleurs, s’est amalgamé sous forme syncrétique avec le protestantisme du revival pour donner naissance à la secte des shepherds , qui par certains côtés rappelle le spiritisme de Umbanda. À Haïti, le Vodou reste plus fidèle certes à ses lignes directrices, mais le nombre des Voduns qui s’incarnent croît sans cesse, ce qui fait qu’à côté des Voduns africains, il existe aujourd’hui un nombre considérable de Voduns créoles.Bien entendu, tandis que les religions africaines se transforment au contact des autres religions, celles des Blancs aussi se laissent influencer par les religions africaines. Le catholicisme des Brésiliens, Cubains et Haïtiens blancs se colore de «superstitions» d’origine africaine apportées par les nourrices noires qui ont veillé sur l’enfance des Blancs, par les domestiques et les amantes de couleur qui vivent à leurs côtés: en particulier, le culte des morts, qui – par exemple chez les paysans du Venezuela ou du Brésil – a des côtés africains très visibles, et le culte des saints, auxquels on offre parfois des sacrifices animaux. Mais on doit aller plus loin et se poser la question de savoir si, dans les pays anglo-saxons, le protestantisme noir, qui, par ses côtés affectif, gestuel, voire extatique, se distingue du protestantisme blanc, du moins dans la basse classe (la bourgeoisie noire ayant accepté le puritanisme de la classe moyenne américaine), n’est pas une réinterprétation, en termes chrétiens, de la vieille religion africaine. C’est, pour les États-Unis, l’opinion de M. J. Herskovits. Elle a été très discutée, et ses détracteurs ont fait remarquer que le revival, avec ses transes et la descente du Saint-Esprit, a précédé chez les Blancs la formation d’un protestantisme noir spécifique. L’argument ne semble pas tout à fait valable, car il ne s’agit pas tant de découvrir une genèse qu’une structure; or la transe chez les Blancs était toujours individuelle, celle des Noirs est collective. Quoi qu’il en soit pour les États-Unis, la religion des Shouter de l’île de la Trinité – avec, pour centre du temple, un poteau central, comme dans le vaudou haïtien et dans quelques candomblés brésiliens; avec, à côté de ses pasteurs, ses devins, ses prophètes et ses «nurses» qui aident les possédés tombés en transe (tout comme les ekedy des candomblés ou les «esclaves» des Orisha au Bénin); avec son initiation dans «la brousse» à la fin de laquelle on reçoit un objet liturgique (analogue donc à l’oshe de Shangô, au balai de Omolú, etc.) – apparaît très nettement comme une transposition, dans un culte protestant, de traits culturels africains antérieurs. On ajoutera que, partout où les Noirs ont réagi à leur frustration sociale en inventant des messianismes, ils ont – exactement comme pour les messianismes, les prophétismes ou les millénarismes qui se sont multipliés en Afrique en réponse à la colonisation ou à la domination des Blancs – masqué leurs revendications politiques sous une protestation religieuse, depuis le célèbre Père divin – considéré comme une réincarnation de Dieu aux États-Unis et apparu au moment où une forte récession économique touchait surtout les masses des ghettos noirs – jusqu’au mouvement du Ras Tafari à la Jamaïque, en passant par les prophètes de Bedward, fondateurs de la Jamaica Baptist Free Church qui annonce la destruction des Blancs, l’avènement du règne des Noirs.Cet inventaire des survivances religieuses africaines en Amérique n’est probablement pas complet. Il est possible que des recherches plus poussées, dans des pays comme le Venezuela, la Colombie, voire le Pérou ou certaines zones du Mexique, réservent des découvertes en ce domaine. Cependant, un double obstacle se présente. D’abord, on peut ne pas voir un trait africain, car il risque d’avoir été réinterprété; ainsi, l’existence de transes dans certains bals dominicaux des Antilles françaises (qu’on explique par la méchanceté de sorciers) est le témoignage d’un ancien culte vodou à la Guadeloupe et à la Martinique. D’un autre côté, on est souvent obsédé par le désir de découvrir partout des Orisha et des Vodouns; or, bien des dieux sont morts à jamais, il ne faut pas s’obstiner à chercher là où il n’y a certainement rien à trouver.Les «africanismes» patents qu’on a cités ont été pris, et en quelque sorte emprisonnés dans des théories, mais les théories changent. En réalité, c’est le fonctionnalisme qui triomphe. Il a permis de découvrir pourquoi les religions africaines ont pu subsister jusqu’à nos jours dans des sociétés qui les repoussaient comme «barbares» ou dangereuses pour l’intégrité culturelle nationale: elles ont assumé une fonction de solidarité au sein d’une classe exploitée, une fonction de secours mutuel, une fonction de catharsis (lorsque les sectes africaines sont interdites par la police, le nombre des maladies mentales augmente à tel point dans la population qu’au Brésil, c’est à la demande des médecins que les candomblés fermés ont été rouverts), une fonction de compensation au blocage de la mobilité verticale des Noirs (ces sectes offrant une hiérarchie de titres et de statuts sociaux aux Noirs de la basse classe).Pourtant, il ne faudrait pas négliger ce qui a été l’élément moteur des anciennes recherches: l’intérêt pour les origines africaines des religions afro-américaines (à une époque où, malheureusement, les premières étaient encore mal connues). Il est possible maintenant d’éclairer les religions d’Amérique par celles d’Afrique, comme à l’inverse de découvrir en Amérique des traits permettant de reconstruire les religions d’Afrique telles qu’elles existaient entre la fin du XVIIIe siècle et la fin de la première moitié du XIXe.
Encyclopédie Universelle. 2012.